Souvenirs littéraires
D’où vient que certains écrivains transmettent plus de vie en un paragraphe que d’autres dans toute une œuvre ? Ils savent montrer, réfléchir par images qui sont la vie condensée. Et tant pis si Léon Daudet, dans ce passage de ses Souvenirs littéraires, ne voit pas qu’à un moment, emporté par sa charge contre une nullité, il se contredit : certaines qualités veulent qu’on tolère les défauts qui les favorisent.
René Doumic, cette utilité qui se crut une nécessité, pioche physiquement le genre moyenâgeux. Quelqu’un de bien intentionné a dû lui dire qu’il avait une tête de vitrail. Mais il y a vitrail et vitrail. Celui de Doumic comporte des cheveux aplatis, d’un blond fade grisonnant, couvrant un front inquiet et plissé, au-dessous duquel s’ouvrent deux orbites bleuâtres. On ne distingue pas les regards. Une bouche mauvaise, cachée dans une moustache et une barbe pisseuses, des joues creuses, un corps efflanqué complètent cette silhouette de noyé mondain. Il a trois bouées sur lesquelles il s’appuie : l’Académie, la Revue des Deux Mondes et les Lectures pour tous. Littérairement, c’est le néant. On ne peut citer de lui ni un mot juste, ni une vue originale, ni une ligne en français. Habillé de gros quant au style, il est invisible à un mètre. Il est sans goût, sans odeur et sans forme, mais non sans bile acrimonieuse et envieuse. Elle coule, certainement à son insu, en filets saumâtres et ruisselets jaunâtres, tout autour de lui. On voudrait crier à l’Université sa nourrice : « Emportez-le et changez-le ! Il est trempé. » À la lettre, Doumic pue le fiel.
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